Le Grand Paris Express est un immense plan de transport dans toute la région Île-de-France qui en avait bien besoin. Mais chacun sent que l’immobilier francilien, déjà tourmenté, risque d’être impacté par ce plan : les prix des biens localisés  autour des nouvelles gares et des nouveaux pôles d’activité risquent de flamber quand d’autres moins bien desservis, verront leur valeur tomber au plus bas.

Mais qu’est-ce qui influence le prix d’un bien immobilier ? l’emplacement, les transports, la proximité des commerces, l’accès à la fibre optique, le taux de la banque centrale américaine ?

L’immobilier est trop cher en France

Nous allons partir d’un constat simple : l’immobilier est trop cher en France. Ce n’est pas la remarque d’un jeune aigri que de constater qu’il ne se paiera jamais ce que d’autres ont eu pour une bouchée de pain il y a quelques décennies, et qu’il faut des salaires de PDG de multinationale et des parachutes dorés, pour se payer 75 m2 à 1 heure de Paris.
Celui qui le dit c’est l’économiste Jacques Friggit, la référence en analyse immobilière en France, sur le site du CGEDD, Le Conseil Général de l’Environnement Et du Développement Durable.
La courbe de Friggit est l’indice du prix des logements, rapporté au revenu disponible par ménage et le « tunnel » de Friggit correspond à la tranche dans laquelle cette évolution s’est contenue pendant 35 ans et comment elle a explosé à partir des années 2000.
Le graphique démarre de 1965. Les prix de l’immobilier augmentent en moyenne de 1,5 % par an, hors inflation et ne s’écartent pas de plus de 10 % d’un ratio moyen qui représente un remboursement équivalent à 2,5 années de revenus.
Puis les choses se sont accélérées et les prix ont augmenté de plus en plus en vite par rapport aux revenus. Une première bulle a éclaté au début des années 90 pour s’assagir ensuite.
Puis, l’écart entre les revenus et les prix de l’immobilier n’ont alors cessé de s’accroître. Aujourd’hui, il faut donc en moyenne 4 ans de revenus par foyer pour rembourser son bien immobilier, et l’écart entre l’Île-de-France et le reste de la France est lui aussi, de plus en plus important.

Courbe-FriggitSource : CGEDD d’après INSEE, bases de données notariales et indices Notaires-INSEE désaisonnalisés actualisé à Avril 2014.

La théorie de Friggit est tout à fait passionnante mais comme toute théorie, elle a ses limites. Cette théorie suppose donc que seuls les revenus des ménages influencent directement le prix des biens immobiliers. Vous noterez que le tunnel de Friggit se vérifie pendant une période très particulière, celle des trente glorieuses où à la fois la croissance était forte et les inégalités salariales faibles ce qui constitue en soi une anomalie dans l’histoire économique. Le récent succès de Thomas Piketty pour son livre sur les inégalités, nous rappelle qu’aujourd’hui, nous revenons vers des fondamentaux du capitalisme des 18e et 19e siècles et leurs inégalités patrimoniales très fortes, montrant ainsi que le sens de l’histoire n’est pas forcément celui que l’on souhaiterait.

Taux d’intérêt et conditions d’accès au crédit

Techniquement, l’analyse oublie les variations des taux de crédit et l’inflation. La théorie de Friggit élude ce point essentiel car nous sommes dans une période de crédit particulièrement favorable et l’inflation est historiquement basse depuis une décennie, depuis la création de la BCE pour être tout à fait clair (puisqu’elle a la mission qu’elle réussit à merveille à cadrer l’inflation autour de 2 %). Nos parents dans les années 80, empruntaient avec des taux à 10 %, mais une inflation à 12 %, ce qui en réalité laissait un taux d’intérêt négatif (les salaires augmentaient comme l’inflation, c’est-à-dire plus vite que le taux du crédit, donc ils gagnaient en pouvoir d’achat, alors que nous autres avons des taux à 4 % mais des salaires qui stagnent; nous sommes donc perdants).
Mais contrairement à ce que l’on pourrait penser, dans une étude de 2011 de la faculté de Harvard (1), les économistes Glaeser, Gottlieb et Gyourko, montrent que la baisse des taux d’intérêt ne permet d’expliquer qu’un cinquième de la hausse des prix immobiliers aux États-Unis. Un facteur tout aussi important est la faculté d’accès au crédit, c’est-à-dire la faculté qu’ont les banques de vous prêter de l’argent plus ou moins facilement, que les conditions pour emprunter soient plus ou moins drastiques : par exemple exiger un apport de 30 % du prix du bien ou à l’inverse, pouvoir prêter sur 30 ans. La durée moyenne d’un crédit immobilier aujourd’hui est de 18 ans, alors qu’elle était de 13 ans en 2001. L’accès au crédit entretient la demande de logement (plus les critères sont larges, plus il y a de ménages qui remplissent les critères), qui elle-même entretient la hausse (2).

Graphe evolution tx et duree credits

L’évolution de la société

L’économie c’est de la psychologie et des mœurs mis en formule, rien de plus, et ce n’est certainement pas une science exacte. L’évolution des mœurs ou l’allongement de la vie ont une influence tout aussi importante que les revenus disponibles ou les taux d’intérêts.
Notre manière de vivre soutient la demande de logement, ce qui fait grimper les prix.
Même si en premier lieu, les nouveaux habitants viennent chercher du travail, on a aussi :

  • les installations en couple de plus en plus tardives : donc un besoin de petits logements pour célibataires,
  • les séparations plus fréquentes, des familles monoparentales ou recomposées.

Ces phénomènes ne sont pas marginaux. On estime qu’ils représentent 30 % des nouveaux ménages en France.
Ensuite, on a le vieillissement de la population. Que l’on soit bien d’accord : le vieillissement est une bénédiction de l’humanité et c’est à la société de s’adapter. Certes, mais cela pose néanmoins des problèmes, en particulier économiques (financement des retraites, sécurité sociale etc.). En effet, l’humanité se bat depuis toujours pour vieillir et mieux vieillir. Rappelons-nous d’ailleurs que l’espérance de vie se situait autour de 30 ans encore à la révolution française !
Ainsi, le vieillissement de la population entraîne une rotation ralentie des logements ce qui fait baisser le stock de logements disponibles et entretient, par voie de conséquence, la hausse des prix (et accessoirement accentue les inégalités sociales en concentrant le patrimoine foncier).
D’autres facteurs macro-économiques influencent les prix des logements notamment la règlementation (norme handicap, incendie, règlementation thermique etc.), l’attractivité et la santé économique du pays qui entraînent l’arrivée de travailleurs étrangers qui pèsent sur la demande ou encore la santé de la bourse. C’est ainsi que si la bourse va mal, les investisseurs se tournent vers les actifs peu risqués et rentables que sont les biens immobiliers selon l’adage « au moins il reste la pierre », alors que quand la bourse flambe, les investisseurs revendent les biens du parc immobilier qu’ils possèdent pour dégager des liquidités et aller les placer en bourse.
Et bien entendu, il y a les facteurs propres au bien.

L’emplacement, l’emplacement, l’emplacement

Le critère numéro un et de loin, de la valeur d’un bien : l’adresse.
Prenez une maison ou un appartement type que vous voulez et comparez les prix sur le territoire : la localisation est le facteur principal de la détermination du prix. Une bonne adresse valorisera votre bien sur le long terme avec certitude. Les prix moyens des appartements varient de 8 500 euros le mètre carré dans Paris, 3 330 à Lyon, 2 581 à Marseille ou 1 207 à Saint-Etienne.
D’ailleurs, vous voyez là-encore une limite à la théorie de Friggit, puisque, si les revenus déterminaient les prix immobiliers, les revenus dans Paris devraient être trois fois supérieurs à ceux de Marseille et sept fois supérieurs à ceux de Saint-Etienne.
Pourtant, à Paris, le revenu net moyen par foyer fiscal est de 36 085 euros, 25 610 à Lyon, 20 579 euros à Marseille, et 19 317 euros à Saint-Etienne (3).
Le prix moyen de construction est de 1 500 euros le mètre carré auquel il faut rajouter le foncier, ce qui ne fait pas les 8 500 euros de Paris ! Donc la majorité du prix est subjective et faite par l’offre et la demande.
Et là, nous ne ferons pas de miracle : il n’y a pas un marché de l’immobilier, mais des milliers de marchés, quasiment quartier par quartier. A deux rues près, les prix peuvent varier pour un même bien de 15 ou 20 % (notamment à Paris).
Parmi les critères d’emplacement on retiendra :

  • la proximité des zones d’activité professionnelle en premier lieu, mais ce critère sera moins vrai en Île-de-France avec ce fameux plan transport qui devrait mettre les logements d’Île-de-France proches d’une gare,
  • la proximité des services : écoles, commerce, cinémas, théâtres et équipements sportifs.

Prix de l'immobilier

Les qualités propres du bien

Bien d’autres critères rentrent en compte ensuite pour valoriser un bien. On retiendra quelques critères classiques :

  • la qualité énergétique : une maison aux normes RT 2012 (règlementation depuis le 1er janvier 2013) consomme trois fois moins qu’une maison à la norme RT 2005 ;
  • le bruit : la différence entre un bien situé sur une rue passante, ne parlons pas d’une nationale ou d’une autoroute, proche d’une cour d’école ou d’un bar, et un bien dans le même quartier qui donne sur une cour intérieure calme, peut être de 30 % ;
  • la luminosité : de la même manière, un appartement situé plein nord sera moins cher qu’un bien plein sud inondé de soleil. Le prix d’un bien sombre peut être inférieur de 20 % par rapport au prix d’un bien équivalent avec plus de clarté ;
  • l’agencement de l’appartement ou de la maison : et oui, deux biens de 80 m2 ne seront pas valorisés de la même manière selon qu’ils offrent deux ou quatre pièces, que la cuisine est un couloir de trois mètres carrés, que la chambre du petit est mansardée, que le salon est plus petit que la chambre, qu’il y a des couloirs longs et étroits ou à l’inverse, qu’il y a deux salles de bain (très prisées) ;
  • l’emplacement dans un immeuble : un appartement au dernier étage est toujours mieux coté : pas de voisin du dessus pour vous ennuyer et une vue potentiellement mieux dégagée, sauf si… il n’y a pas d’ascenseur. Un appartement au rez-de-chaussée est toujours moins bien coté : risque de cambriolage plus important, bruits et passages du hall, ou encore un appartement au premier au-dessus d’un magasin, d’un restaurant (livraison, odeurs, fumeurs…) ou  d’une boulangerie (le boulanger se lève très tôt) ;
  • le quartier : un studio dans un quartier familial sera moins bien coté ;
  • la qualité de la copropriété et les charges associées : il est évident que les autres propriétaires comptent beaucoup. S’agissant des frais de copropriété, on peut s’interroger sur la date du dernier ravalement, sur le bon entretien des parties communes ou encore sur le bon provisionnement des travaux d’équipements, etc. Pensez par exemple que pour avoir la fibre optique dans un immeuble, il faut la majorité de l’assemblée générale des copropriétaires ;
  • la présence de parking ou de garage, ou plutôt l’absence de parking : – 6 ou – 7 % pour les logements ayant un seul garage, – 16 % pour les logements n’ayant aucun parking ;
  • une résidence fermée sera toujours mieux cotée.

Nous n’avons pas encore parlé des biens dont l’état nécessitent des travaux. L’étendue de ces travaux en détermine le prix. Si tout est à refaire, il est impossible de le vendre au prix du marché; car la décote est souvent plus importante que ce que coûtent les travaux : une baisse de 20 % sur un bien au marché à 200 000 euros avec des travaux à prévoir revient à une baisse de 40 000 euros, pour un montant de travaux de 15 000 à 20 000 euros. On est souvent gagnant sur le plan financier à faire des travaux, mais attention car les contraintes pratiques sont fortes.
Un autre facteur de hausse : la date de construction de l’immeuble. En effet, plus la construction est récente, plus le prix est élevé. Ainsi, une construction de 2010 sera de 27 % au- dessus du marché, mais curieusement, le taux de décote des biens anciens n’est pas élevé : – 5 % avant 1969, – 2 % au début des années 80.

L’impact des transports sur les prix immobiliers

Vous avez souvent entendu que l’arrivée d’un type de transport quelque part, faisait bondir les prix : c’est vrai et faux à la fois.
Les prix de l’immobilier autour d’une gare TGV augmentent pratiquement tout le temps, mais pas forcément sur toute la ville. C’est en substance ce que la chercheuse Marie Delaplace (Université Paris Est Marne La Vallée) dit à propos des nouvelles lignes LGV qu’ « on ne constate pas de sursaut des transactions individuelles, pas plus de gens qui s’installent, pas de boom du nombre de résidences secondaires. La seule chose qui augmente, ce sont les prix de l’immobilier autour des gares. C’est un effet de rattrapage, car ces zones sont en général peu avenantes, pas rénovées. Or, l’arrivée de la LGV incite à repenser ces quartiers pour leur redonner de l’attrait », un point c’est tout. Là encore, le prix facial des biens augmente autour de la gare, parce qu’on les rénove, on abat les anciens et on en construit des neufs etc. Pas forcément, ou de manière marginale parfois, parce qu’ils sont proches de la gare ; enfin disons que ce n’est pas automatique.
Le Commissariat Général au Développement Durable le confirme d’ailleurs dans une étude de décembre 2011 sur l’impact de la LGV Est sur le prix de l’immobilier (4).
L’étude précise que les résultats obtenus ne permettent pas de conclure à un effet TGV, et « Globalement les villes qui ont bénéficié de la nouvelle infrastructure n’ont pas connu un rythme de croissance des prix plus important que la moyenne française ». Seule Reims a crû presque aussi vite que la moyenne nationale, ce qui accrédite l’hypothèse d’un effet TGV pour cette seule ville. Pour les autres villes, le boom immobilier des années 2000 a fait croître les prix de 60 % en huit ans, et l’impact LGV dans ces 60 % est difficile à estimer de même que tout cas marginal (« noyé dans le boom ») dit l’étude.
Pour nous rapprocher du Grand Paris, une étude de l’IAU d’Île-de-France (l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme) a évalué l’impact de la ligne de tramway T3 à Paris, entre le Pont de Garigliano dans le 15e arrondissement et la Porte d’Ivry dans le 13e arrondissement, sur les prix de l’immobilier en mars 2011 (5).
La conclusion est sans appel : « lorsque les effets des transports sur les prix sont significatifs, ils sont faibles ». L’étude conclut à la neutralité de la ligne de tramway sur les prix immobiliers :

  • aucun impact significatif et certain de la ligne sur les prix immobiliers ne peut être détecté, ni par les agents immobiliers interrogés, ni par une analyse descriptive, ni par une modélisation hédonique qui pourtant utilisent toutes les deux des données exhaustives de toutes les transactions réalisées ;
  • le voisinage des boulevards des Maréchaux reste une zone dévalorisée pour les prix des biens immobiliers, avec une décote de l’ordre de 5 % à moins de 200 m ;
  • la mise en service du T3 a été suivie d’une augmentation non significative des prix (en sus de la conjoncture) en proche banlieue sud (de – 2 à + 7 %) et dans la bande des 200 à 400 m (autour de la ligne).

Cet étude cite d’autres exemples, comme : « La proximité à la station de métro Olympiades dans un rayon de 200 m n’a pas d’effet sur les prix des logements vendus avant ou après son ouverture fin juin 2007. En revanche, dans une couronne de 200 à 400 m autour de la station, le prix des logements était significativement plus élevé avant l’ouverture de la station (d’environ 4,5 %), et ce différentiel de prix a doublé après l’ouverture de la station. Cependant la différence avant/après n’est pas significative »
Et ces conclusions rejoignent celles des autres études effectuées :

  • sur la ligne du tramway T1 (Bobigny-Saint-Denis) : il y a eu plus de ventes de logements le long du T1 dans un corridor proche mais il n’y a pas eu d’impact significatif sur l’augmentation des prix.
  • sur la ligne du T2 (tramway Val de Seine entre Issy-les-Moulineaux et La Défense) : « le T2 n’a pas eu d’effet sur le prix des maisons et sur les appartements, il n’y a pas eu d’effet d’anticipation avant 1996, mais des effets de persistance jusqu’en 2003 »
  • sur le RER E : « il n’y a pas de lien de causalité évident entre augmentation des prix et mise en service du RER E. Il semble que l’effet du RER soit plus important sur les volumes de ventes que sur les prix ».

Le prix de l’immobilier reste quelque chose de très subjectif. Fiez-vous surtout à vous que ce soit pour investir ou pour y vivre : est-ce que vous aimeriez vivre à cet endroit ? Le reste n’importe que peu finalement.

 

Bilan sur le parc existant en Île-de-France

L’Île-de-France comptait 5 337 000 logements au recensement de l’INSEE de 2006. On dénombrait alors 1 322 600 logements à Paris, 1 945 000 en petite couronne et 2 070 000 en grande couronne, pour 11,7 millions d’habitants. On note aussi 5,7 % de logements vacants.
La taille moyenne des logements d’Île-de-France est de 76 m² (59 m² dans Paris intramuros) contre 91 m² dans les autres régions sachant que 12 % des logements sont des studios contre 6 % dans le reste de la France.

Par Publié le : 5 juillet 2014Catégories : Economie, Gestion et Finance0 CommentaireMots-clés : , , , ,