Les dépenses publiques dans l’histoire

Si l’étymologie, c’est-à-dire l’origine des mots, ne passionne pas les foules, elle est parfois amusante. Budget est un anglicisme, bien entendu, mais un anglicisme d’une racine française : bougette ; la boucle est bouclée. La bougette était la bourse accrochée à la selle du cheval des voyageurs dans laquelle on serrait les écus.
Le terme “budget” a été employé pour les gouvernements à partir du début du 20e siècle, mais, depuis l’antiquité, l’administration unifiée et le système fiscal est puissant et organisé, et en France depuis le 14e siècle “l’état général des finances” présente les dépenses et les recettes de l’année.

Avant de s’attarder sur les dépenses publiques depuis les 20 dernières années, regardons un plus en arrière :

 

% PIB des dépenses publiques

 

 

% PIB des dépenses publiques

1872

11

 

1985

51.9

1912

12,6

 

1990

49.5

1920

32,8

 

1995

53.5

1947

40,8

 

2000

51.4

1960

34,6

 

2005

53,4

1974

39,3

 

2008

52,7

1975

43,4

 

2009

56.8

1980

45.5

 

2014

57.7

Sources : Christine André et Robert Delorme, “Le Budget de l’État”, dans les Cahiers français numéro 261 (mai-juin 1993) pour les données historiques, OCDE à partir de 1960, INSEE Première depuis 2005. 

Il est intéressant de noter qu’en % du PIB, c’est-à-dire de la valeur ajoutée, ou de la richesse pour faire simple, créée par le pays pour une année, les dépenses publiques ont quadruplé sur tout le XXe siècle et nous devons bien constater que celles-ci ne baissent quasiment jamais depuis un siècle.

Cette hausse des dépenses publiques va de pair avec la croissance économique. Une corrélation mise en évidence par Adolph Wagner dès la fin du dix-neuvième siècle. Le progrès économique nécessite de nouveaux besoins sociétaux : infrastructures (transport, énergie, téléphone etc.), des réglementations, des services publics urbains etc.

On a assisté également à une distorsion des dépenses publiques au fil des décennies : les fonctions dites “régaliennes”, qui littéralement “marquent la souveraineté” : la défense, la justice, la police et les affaires étrangères, ont vu leur part diminuer dans l’ensemble des dépenses publiques. Ces fonctions représentent aujourd’hui moins d’un dixième des dépenses publiques alors qu’elles en représentaient plus de la moitié il y un siècle.

Les dépenses d’éducation, de sécurité sociale, puis les dépenses sociales (chômage, soutien à l’emploi), et les charges de la dette (deuxième poste des dépenses de l’état derrière l’enseignement aujourd’hui), ont supplanté les fonctions régaliennes.

Depuis 20 ans, alors que notre économie n’est qu’une longue suite de “stop and go”, c’est-à-dire de crises (1993, 2000, 2008) puis de reprises, même si nous attendons toujours la dernière, les dépenses publiques longent une courbe croissante dont la pente se réduit. Le taux de chômage varie fortement de plus de 3 points à la hausse comme à la baisse, tout comme le taux de croissance très volatile.

La seule régularité est cette inexorable croissance de la part des dépenses publiques dans le PIB, car malheureusement, la dépense publique a une tendance naturelle à l’augmentation : inflation, hausse du nombre de retraités, hausse du nombre de chômeurs, croissance de 2 à 3 % des dépenses de santé (vieillissement de la population, dépendance, nouvelles maladies…)

 

% PIB dépenses publiques

% PIB recettes publiques

% Déficit

Taux de chômage en % de population active

Taux de croissance du PIB (source banque mondiale)

Taux d’endettement ; Dette/PIB

1995

53.5

49.1

4.4

9.6

2.1

55.5

2000

51.4

49.8

1.6

8.1

3.9

57.5

2005

53,4

49.7

3.7

8.5

1.6

66.8

2008

52,7

49.8

2.9

7.1

0.2

68.2

2009

56.8

49.6

7.2

8.7

-2.9

79.2

2010

56.6

49.6

7

8.9

2

82.7

2011

55.9

50.8

5.1

8.8

2.1

86

2012

56.7

51.8

4.9

9.4

0.3

90.6

2013

57.1

53

4.1

9.8

0.3

93.5

2014

57.7

53.4

4.3

10

0.4 (prévision)

95.3 (prévision)

Les formidables mécanismes d’absorption des chocs de l’économie en cas de crise du modèle français (chômage, sécurité sociale, politique familiale) etc., ne se traduisent pas par un reflux mécanique lors des reprises. C’est là que se situe le problème du modèle social français : il est incapable de se moduler, et les effets “cliquets” (qui empêchent le retour en arrière) sont plus forts que les intentions de baisse des dépenses en cas de reprise (si ces intentions n’ont jamais existé). Il est plus facile de mettre en place des politiques publiques et des administrations publiques que de les défaire. En effet, vous pouvez constater dans notre tableau comparatif que les gouvernements ont moins de prise sur les recettes fiscales qui stagnent autour de 49,7 % pendant presque 20 ans, avant de décoller suite aux monstrueux déficits de 2009, 2010 et 2011. D’ailleurs, la pression fiscale n’a finalement augmenté que de moins de 3 points entre 2010 et 2014, là où médiatiquement, il semblait que l’administration fiscale égorgeait la France entière.

D’autant que la dépense publique a une autre caractéristique : la baisse des dépenses publiques ou hausse des impôts, a un impact sur la croissance du PIB, sur la création de richesse du pays. On nomme ce phénomène “multiplicateur budgétaire” (les keynésiens apprécieront), et le très sérieux OFCE (Organisme Français des Conjonctures Economiques) estime ce multiplicateur de 1,3 : quand la dépense publique baisse d’un euro, le PIB baisse d’environ 1,3 euros. Il est donc d’autant plus délicat de toucher à la dépense publique, mais d’autant plus urgent aussi, car plus elle augmente, plus l’effort pour la baisser sera douloureux.

Peut-on dire que les choses bougent ?

En juin 2007, avant que la crise financière et économique ne frappe, le gouvernement avait déjà lancé la RGPP : la Révision Générale des Politiques Publiques qui devait recentrer les fonctions de l’état sur l’essentiel, faire le remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux etc. Cette ambitieuse réforme a été incontestablement un échec, mais elle a ouvert une brèche dans la réflexion et l’ambition de réformer l’état français et ses dépenses.

La loi de finances 2015 est la première du plan gouvernemental de réduction de 50 milliards de dépenses publiques entre 2015 et 2017, et elle promet une baisse des dépenses publiques de 21 milliards d’euros pour la seule année 2015 répartie entre :

  • la protection sociale (9,6 Mds),
  • les collectivités locales (3,7 Mds),
  • l’état (7,7 Mds).

Mais attention, lisons entre les lignes. Ce ne sont pas 21 milliards d’euros en moins, mais 21 milliards par rapport à la tendance naturelle, à la projection de la courbe des dépenses si ces efforts n’avaient pas été faits ! En réalité, la dépense publique va encore augmenter de 0,2 % en 2015 au lieu de 1,7 % sans mesure : voilà votre baisse des dépenses.

Le déficit 2014, 4.3 % du PIB attendu, représente 85,6 milliards d’euros. Autant dire que le chemin à parcourir est difficile à imaginer pour atteindre un budget à l’équilibre, un jour.

Mais le gouvernement a peut-être de la chance. Sa maîtrise des dépenses publiques en 2015 est corrélée à une prévision de croissance du PIB de 1 %, et celle-ci peut se produire, peut-être même aller au-delà, grâce à des facteurs bien réels :

  • La baisse de 50 % du prix du baril de pétrole (de 100 dollars le baril en août 2014 à 50 dollars en janvier 2015) permet une baisse de la facture énergétique,
  • La baisse de près de 20 % de l’euro face au dollar (1,38 dollars le 30 avril 2014, 1,13 dollar le 10 février 2015), ce qui permet de relancer les exportations,
  • Et des taux intérêts historiquement bas grâce aux plans de soutien des banques centrales mondiales qui inondent le monde de liquidités ; la France se permet d’emprunter à des taux négatifs sur certaines émissions d’emprunt d’état, c’est-à-dire que des investisseurs paient pour placer leur argent auprès de l’état français et d’autres pays comme l’Allemagne ou la Suisse.

Espérons que ces facteurs favorables ne soient pas un prétexte tout trouvé pour ne pas entamer les réformes dont l’état a besoin.

Objectif zéro dette publique ?

Et bien non, il ne faut pas perdre de vue que l’objectif d’un état n’est pas zéro dette. L’économie a aussi besoin de dette publique pour fonctionner, car étant répartie sur l’ensemble des citoyens et du patrimoine d’un pays, elle est jugée plus sûre que d’autres types de dettes, et la dette publique permet au système financier et monétaire de fonctionner.

La question réside dans le niveau de dette permissible et soutenable. A une autre époque, le gouvernement de Valéry Giscard d’Estaing avait décidé que le taux d’endettement de 20 % était un seuil minimal pour faire fonctionner le système financier.

 

À savoir

Les dépenses publiques regroupent trois types de dépenses :

  • les dépenses de fonctionnement, qui servent à la bonne marche des services publics sans y apporter d’amélioration (dépenses courantes de personnel et d’entretien) ;
  • les dépenses de transfert en nature, principalement la fourniture de services publics comme l’hospitalisation ou l’enseignement à titre gratuit, ou en numéraire (ex : subventions aux entreprises, pensions de retraite, allocations familiales, minima sociaux, prestations sociales visant à garantir un revenu minimal à une personne en situation de précarité….) ;
  • les dépenses d’investissement, qui visent à renouveler ou à accroître le capital public (ex : achats de matériels et de mobiliers, constructions de bâtiments et d’infrastructures).

Le taux de chômage à la fin de l’année 2014 est de 10,4 % au sens du Bureau International du Travail (BIT).

Mais le taux de chômage le plus élevé a été atteint en février 1997 avec 11,3 % de demandeurs d’emploi. À cette époque, 3 195 500 personnes sont inscrites en catégorie A (qui regroupe les inscrits ne travaillant pas du tout).

Il faut attendre mars 2013 pour que le triste record du nombre de chômeurs soit battu, pour atteindre 3 496 400 à la fin de l’année 2014.  

Entre 1997 et 2013 la population active est passée de 26,71 millions à 30,18 millions, ce qui explique que le taux de chômage est plus faible aujourd’hui qu’en 1997.

Par Publié le : 30 mars 2015Catégories : Economie, Gestion et Finance0 CommentaireMots-clés : , ,