Retour à la première partie, L’évasion fiscale, fraude ou pas ?

Retour à la seconde partie, L’évasion fiscale, point sur la situation en France et en Europe

Les royalties vues par Ikea

Étape numéro 1 : réduire l’assiette imposable

Chaque magasin paye une redevance de 3 % du chiffre d’affaires pour l’utilisation de la marque à une société néerlandaise nommée Inter Ikea Systems. Chaque année, 1 milliard d’euros transitent par ce biais entre les magasins Ikea et ce holding aux Pays-Bas.

Résultat : Diminution de 64 % de l’assiette taxable en France selon le rapport des Eurodéputés-Verts.

Étape numéro 2 : la redistribution

Les Pays-Bas ont a signé de nombreuses conventions fiscales qui exonèrent d’impôt, les rentrées d’argent par le biais de redevances ou d’intérêts d’emprunt. Il n’y a pas de retenues à la source lorsque ces flux repartent vers d’autres juridictions.

Résultat : Transferts de fonds possibles

Étape numéro 3 : la vente de la marque «Ikea»

La marque « Ikea » a été vendue par une fondation au Liechtenstein appelée Interogo au holding néerlandais en 2012 pour 9 milliards d’euros. Cette vente est assortie d’un prêt d’une valeur similaire.

Résultat : Création d’une dette vers le Liechtenstein

Étape numéro 4 : le financement de l’achat de la marque

Une société du groupe, basée au Luxembourg et gérant les prêts intra-groupe, fait transiter les intérêts de cet énorme emprunt. L’emprunt et ses intérêts sont payés par  cette société luxembourgeoise. Ces intérêts bénéficient d’un taux d’IS très faible (0,06 %) grâce à un rescrit fiscal signé entre l’entreprise et l’Etat luxembourgeois. Les sommes sont ensuite reversées sous forme de dividendes au Liechtenstein.

Résultat : Paiement de la dette à Interogo, la société au Liechtenstein.

Conclusion :

D’après le rapport des Eurodéputés-Verts, les pertes fiscales sont estimées à 24 millions pour la France, 35 millions pour l’Allemagne, et 12 millions pour le Royaume-Uni. En tout, près de 1 milliard d’euros auraient échappé aux autorités européennes en six ans.

L’affaire Google

Google a versé à l’Etat français 30 % d’impôts sur les sociétés supplémentaires en 2015 par rapport à 2014. Cela représente 6,7 millions d’euros. Ce montant est marginal au regard de l’activité réelle du groupe Internet dans le pays.

Google fait remonter les revenus par une cascade de holdings prenant « en sandwich » une société néerlandaise entre deux sociétés irlandaises. D’où le nom de « double irlandais » ou « sandwich néerlandais ». Un schéma qui permet de tirer parti des avantages offerts par les législations des deux pays. Le principe : chaque holding concède à sa filiale les droits de propriété intellectuelle, ce qui permet de faire remonter les bénéfices sous forme de redevances, souvent exonérées d’impôts en vertu d’une directive européenne datant de 2003.

Google exploite donc parfaitement les failles fiscales européennes. Fidèle à son modèle, la filiale française dit exercer une activité de conseil, de marketing et d’ingénierie, à destination de sa maison mère. Elle est rémunérée par Google Irlande, qui encaisse directement les revenus publicitaires auprès des annonceurs français. Le chiffre d’affaires qu’il déclare dans ses comptes correspond ainsi à peu près tous les ans aux charges de la structure. Et vous le savez, l’impôt sur les sociétés se base sur le résultat de l’entreprise. Google déclare 22 millions d’euros de bénéfice avant impôt en 2015, sur des revenus de 247 millions d’euros.

Pourtant, selon l’observatoire de l’e-pub du SRI, réalisé par PwC (PricewaterhouseCoopers, cabinet d’audit), l’activité réelle de Google en France est beaucoup plus élevée. Il s’agirait d’un marché d’1,7 milliard d’euros en 2015. De quoi remplir un peu plus les caisses de l’Etat français ! Avec de telles données, le fisc français a mis les bouchés doubles et a ciblé Google pour un redressement fiscal de 1,15 milliard d’euros sur ses pratiques fiscales au cours des dix dernières années.

La procédure a été vivement commentée dans les médias et le tribunal administratif de Paris a été chargé de l’instruction du dossier. Comme nous l’avons vu précédemment, il est extrêmement difficile pour le fisc de prouver la fraude lorsqu’elle utilise des procédés légaux. Ainsi, le tribunal administratif de Paris vient de juger le 12 juillet 2017 que Google n’était finalement pas redevable et a annulé le redressement fiscal. Bercy a donc fait appel de cette décision.

Afin de mettre toutes les chances du côté français, Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, s’est dit prêt à un accord transactionnel avec le géant du web en matière de fiscalité.

Pour prouver sa bonne foi et amadouer l’Etat français, Google répète qu’il respecte la loi des pays dans lesquels il exerce. Nombre de multinationales utilisent les mêmes procédés d’optimisation fiscale. Le groupe met aussi en lumière la hausse de ses effectifs, passés de 534 à 584 salariés en un an, et ses investissements récents, comme l’ouverture d’un centre de recherche sur l’intelligence artificielle, qui témoigne de sa présence durable dans le pays.

Affaire à suivre !

La lutte de l’Etat français contre la fraude

Vous l’avez compris, à moins d’une harmonisation fiscale européenne, chaque état ne pourra faire que des « cadeaux » fiscaux pour attirer les entreprises sur son territoire. Encore faut-il espérer qu’elles paieront un minimum d’impôts.

L’Etat français concentre donc ses efforts sur la lutte contre les fraudeurs. Et la fraude ne se résume pas à la fraude fiscale. La triche aux prestations sociales, aux cotisations sociales, évaluée entre 20 et 25 milliards d’euros creuse, encore davantage les pertes de prélèvements obligatoires.

Lutter contre la fraude fiscale constitue l’une des nombreuses missions de la Direction générale des finances publiques (DGFiP). Elle est exercée de facto par plusieurs services :

  • L’accueil permet en premier lieu de renseigner le public et ainsi d’éviter de mauvaises interprétations des textes fiscaux.
  • Les services de gestion de l’impôt et des bases (services des impôts des particuliers, services des impôts des entreprises, services fonciers…) : ils occupent une place centrale dans cette chaîne de travail puisqu’ils actualisent les données fiscales, détectent les éventuelles anomalies, procèdent à des relances et effectuent certaines opérations de contrôle dit « sur pièces » (autrement dit du bureau).
  • Les services nommés « pôle de contrôle et d’expertise » qui effectuent notamment des missions de contrôle sur pièces et de programmation du contrôle fiscal.
  • Les services de recherche, au plan national et local, permettent d’être en contact avec le tissu économique, les différents acteurs de lutte contre les activités illégales ayant une incidence fiscale possible (police, douanes, justice), et réalisent un travail qui complète le travail effectué du bureau.
  • Certains agents travaillent également en collaboration avec la police.
  • Les brigades de vérification (des directions départementales, interrégionales et nationales) assurent le contrôle fiscal externe (vérifications de comptabilité des entreprises et examen de la situation fiscale personnelle des particuliers notamment).
  • Les services de recouvrement, qui collectent l’impôt éludé, au besoin en mettant en œuvre des procédures de recouvrement forcé.
  • Les services traitant les demandes contentieuses qui traitent les réclamations des contribuables.

Comme on le voit, le chantier d’une véritable réforme fiscale est vaste. L’Etat a donc la lourde tâche d’harmoniser, de combler les failles et de travailler au niveau européen pour lutter contre la fraude.

Ce chantier est extrêmement important et s’il est minimisé, ce sont bien les particuliers et les entreprises ne créant pas de montages fiscaux qui vont finalement payer la note.