La question se pose très régulièrement dès lors qu’il est question de baisser les dépenses publiques : le fait qu’il y ait moins de services publics est-il bénéfique ? Question d’autant plus prégnante depuis la crise de 2008 qui n’en finit pas de durer et qui a mis en lumière les dettes incontrôlées des États, notamment européens, après que les déficits publics aient servi d’amortisseurs à la crise économique, mais débouchant cependant sur la crise des dettes souveraines.  

Deux modèles résistent tant bien que mal à la crise :

  • Le modèle des pays du Nord : des pays très administrés, avec une dépense publique très élevée comme la nôtre, mais avec l’idée d’une bonne gestion dans la mesure où l’on sait pourquoi les citoyens paient, dirait-on.
  • Le modèle des pays anglo-saxons où, à l’inverse, l’État est peu présent, voire de moins en moins, avec l’idée que chacun se débrouille comme il l’entend avec les ressources qu’il a. On comprend pourquoi les citoyens ne paient pas.

Nous nous sommes penchés sur le cas des États‑Unis, qui généralement, pardon pour nos amis danois et finlandais, fait plus rêver que celui du Danemark ou de la Finlande.

Une philosophie différente

La fonction publique américaine se différencie de la nôtre, à la fois par le fait qu’elle soit politisée et liée à l’instauration de la démocratie. À son établissement au XIXe siècle, les emplois de la fonction publique fédérale, étaient servis à ceux qui avaient aidé à la conquête du pouvoir, le spoil system : les emplois publics étaient des récompenses en quelque sorte, ce qui faisait une fonction publique politisée qui changeait au gré des élections. Il n’y avait donc pas de carrière à faire dans la fonction publique, mais un emploi à occuper pour servir au mieux les intérêts des élus. Le système a mené à divers abus et scandales à la fin du XIXe siècle, et sera au fur et à mesure remplacé par un système de concours et de mérite (qui s’organise depuis le Pendleton Act de 1883 quand même). Aujourd’hui 90 % des emplois fédéraux sont recrutés par un processus plus neutre. Cependant la philosophie de l’emploi, et non pas celle de la carrière, est restée un trait caractéristique. En effet, les compétences de recrutement ne sont d’ailleurs pas des aptitudes générales ou de culture comme les concours de la fonction publique française mais des compétences liées au poste que la personne va occuper. Par ce biais, il y a donc des aller-retour beaucoup plus nombreux et faciles aux États‑Unis entre la fonction publique et le privé qu’en France, où hormis quelques pantouflards de la haute fonction publique qui prennent des postes en or dans des sociétés privées qui se servent de l’influence politique de leur nouveau salarié, les deux mondes se côtoient peu.

L’administration Obama a modifié en profondeur le recrutement de ses employés fédéraux : alors qu’il fallait 6 mois avant 2010 et de fréquents entretiens, épreuves et contrôles de personnalité par diverses agences mal-coordonnées, il faut aujourd’hui environ 105 jours, et L’Office of Personnel Management, l’agence des ressources humaines de l’État en quelque sorte, n’hésite plus à aller chercher les étudiants dans les universités, même si la fonction publique aux États‑Unis est toujours peu valorisée socialement. (voir L’IGPDE – réactive n°49 de novembre 2012).

Le millefeuille américain

Il est difficile de parler de la fonction publique aux États‑Unis, puisque l’autonomie des États et des localités en la matière aboutit à des différences considérables au sein de l’union.

Ensuite, il convient de rappeler la fragmentation de la fonction publique américaine qui, par son aspect éclaté, rappelle parfois notre millefeuille administratif.

Il existe trois catégories d’administration : fédérale, étatique, locale. Mais chacune est éclatée elle-même entre de très nombreuses structures : district, comté etc.

Par exemple, le chercheur Paul L. Posner de l’université George Mason a recensé dans l’État de Washington pas moins de : 39 communes, 30 districts de pompiers, 19 districts d’éducation, 19 hôpitaux, 16 districts d’égoûts (sewer districts !), le port de Seattle, et là aussi des associations à but non lucratif comme « l’American Red Cross » qui emploient des fonctionnaires tout comme en France une association peut le faire, etc.

De plus, on constate un phénomène que l’on appelle « l’agentification du pouvoir exécutif », que l’on pourrait traduire par la création d’agences parapubliques : c’est à dire des autorités administratives indépendantes de l’État fédéral ou du gouvernement local mais avec un contrôle plus ou moins limité de l’État ; soit une forme qui se veut moderne, plus flexible qui tend à privatiser et externaliser des activités et des services tout en maintenant un contrôle de l’État. De nombreux services sont délégués dans ce cadre qui se rapproche en France de la délégation de service public, comme peut l’avoir VEOLIA environnement lorsqu’elle gère les eaux d’une ville par exemple, ou la SNCM pour les trajets avec la Corse depuis Marseille. De la même manière qu’en France, ces délégations de service public incluent des subventions publiques, et ne sont donc pas exemptes de financement public contrairement à ce que l’on pourrait penser.

Des fonctionnaires moins nombreux ?

Selon l’US Bureau of Labor Statistics, le niveau fédéral américain emploie environ 2,8 millions de personnes, soit 2,2 % de l’emploi total aux États‑Unis, taux resté stable depuis environ cinquante ans (hors armée).

Au niveau des États américains, les employés de la fonction publique représentent 5 millions de personnes (4 % de l’emploi total), ce qui correspond à une augmentation raisonnable sur les cinquante dernières années.

Là encore, vous allez retrouver une caractéristique que nous connaissons bien chez nous : le niveau local emploie 14,5 millions de personnes (représentant quand même 11 % de l’emploi total), et ce chiffre croît rapidement par rapport aux deux précédents.

L’emploi de la fonction publique (hors entreprises publiques de type poste par exemple) représente donc aux États‑Unis : 2,2 + 4 + 11 = 17,2 % de l’emploi total.

REPARTITION DE l’EMPLOI (Avril-juin 2009)

Nb d’employés (en milliers)

En % du total

Total

132,131

100,0 %

Privé

109 539

82,9 %

Public

22 593

17,1 %

FEDERAL

2 852

2,2 %

ETAT

5 185

3,9 %

Local

14 556

11,0 %

Source : U.S. Bureau of Labor Statistics

 

En France, nous avons 5,2 millions d’agents publics répartis en trois grandes fonctions publiques : 2,7 millions de fonctionnaires d’État, 1,6 millions de fonctionnaires hospitaliers, et 1 million d’agents territoriaux pour un total de 22 % de l’emploi en France.

Bien sûr, on notera une inversion des chiffres entre les deux pays, puisqu’en France la fonction publique d’État est sur-représentée (plus de 50 % de la fonction publique) alors que la fonction publique territoriale représente un quart de la fonction publique totale. Les statistiques relatives à la fonction territoriale américaine représentent les trois quarts de la fonction publique. Cela est dû à notre système jacobin, étatique, technocratique et centralisé, alors que les États‑Unis sont évidemment un système décentralisé, une union d’États indépendants et des collectivités territoriales fortes. Le poids de l’histoire est très fort dans la configuration de la fonction publique aux États‑Unis dans la mesure où la démocratie a en quelque sorte précédé la bureaucratie, alors qu’en France, la notion première est celle de l’État, du Royaume qui a précédé la nation et a abouti à la démocratie.

Taux-d'administrationLes plus pointilleux d’entre vous me diront qu’entre 22 % et 18.2 %, un écart de presque 4 points est considérable et représente un écart de 20 % de fonctionnaires de plus en France, mais c’est tout le problème du périmètre de la sphère publique que l’on compare.

 

D’autant que si on en croit le tableau de bord de l’emploi public publié par le centre stratégique d’analyse en 2010, la France a un taux d’emplois publics pour 1 000 habitants qui est le même que celui de la Grande-Bretagne et même inférieur à celui du Canada !

 

Agentification

Création d’autorités administratives (plus) indépendantes de l’État, avec contrôle limité de l’État. « Partie du monde anglo-saxon, l’émergence des agences est liée aux années 80 en Grande-Bretagne (Margaret Thatcher) et à sa remise en cause de l’État social jugé trop coûteux avec des fonctionnaires trop nombreux et des services jugés peu « efficients ». La solution a consisté à introduire à l’intérieur du service public, de nouveaux critères comme la compétition, la concurrence, à la culture des résultats, à substituer aux services des ministères des « agences » séparées qui devaient remplir les objectifs du ministère dans un cadre de ressources définies » (Source : Agences administratives: mutation ou révolution ?, cf. Les Cahiers de la Fonction Publique et de l’Administration, n° 259, Paris : UNSA, septembre 2006

Une différence de taille : les dépenses militaires

Dépenses totales militaires (en % du PIB)

2009

2010

2011

2012

États‑Unis

4,8

4,8

4,7

4,4 ($682 Mds)

France

2,6

2,4

2,3

2,3 ($58,9 Mds)

Source : banquemondiale.org

 

Il est évidemment difficile de passer à côté : les États‑Unis ont le budget de défense le plus important du monde, de loin : 661,29 milliards de dollars en 2012, soit 1,8 milliards de dollars par jour ! Soit près de 4 fois plus que le deuxième, celui de la Chine : 166 milliards de dollars par an, la France 6e avec 58,9 milliards en 2012.

Les effectifs aussi ont des tailles différentes en valeur absolue, mais pas en termes relatifs : si l’armée française est la treizième au niveau mondial, soit un effectif en 2011 de 296 493 personnes, l’armée américaine compte 1 429 995 soldats. Mais comparées à la population active, les forces militaires françaises représentent 1,04 % de la population active (28,4 millions), et aux États‑Unis les militaires représentent 1,03 % de la population active (138 626 000 actifs). On en parle beaucoup, mais les agences de renseignements américaines emploieraient environ 100 000 personnes, ce qui en terme d’effectifs ne change pas la vision macroéconomique, même si on pourrait rétorquer que les agences de renseignements américaines forment un tiers des effectifs de notre armée totale ! En revanche, elles engloutiraient (beaucoup de « conditionnel » avec les chiffres sur les renseignements américains) autour de 60 milliards de dollars par an, soit autant que toutes nos dépenses militaires !

Effectif des Forces armées au 1er janvier 2013

Total des forces armées tous services confondus

1 429 995

Armée de terre

541 291

Marine militaire

317 237

Troupes de marine

195 338

Armée de l’air

333 772

Gardes côtes

42 357

Source : DoD Personnel & Procurement Statistics,

 

Périmètre et efficacité de la sphère publique

Si on considère la dépense publique pure, on a en pourcentage du PIB :

Période (en % du PIB)

Etats-unis

France

2008

38,7

53,3

2009

42,7

56,8

2010

42,3

56,5

2011

41,1

55,9

2012

39,7

56,6

2013

38,7

57,0

 

On obtient en chiffres bruts, un écart de plus de 18 points entre les deux pays pour l’année 2013 en termes de dépenses publiques par rapport au PIB. Il est d’ailleurs intéressant de noter l’augmentation de la dépense publique dans les deux pays après la crise de 2008 pour en amortir les effets, puis la décroissance de la dépense publique américaine, alors que la dépense publique française continue son chemin, mais c’est un autre débat.

Néanmoins, comparons deux des grands secteurs dans lesquels la sphère publique est omniprésente : la santé et l’éducation.

Non seulement la dépense publique américaine n’est finalement pas si éloignée de la nôtre, mais en plus les ménages et les entreprises consacrent beaucoup plus d’argent privé pour un résultat qui peut paraître ambigu quant à l’efficacité du système éducatif américain (notamment avant les études supérieures) et du système de santé.

En effet, la France consacre, selon les données 2011 de la Banque Mondiale, 11,6 % de son PIB à son système de santé, dont 8,9 % de dépenses publiques. Les États‑Unis consacrent 17,9 % du PIB à leur système de santé, dont 8,2 % de dépenses publiques. En proportion, les dépenses publiques sont proches, mais la part qu’amènent les ménages et les entreprises est bien supérieure. Or, les Américains sont-ils mieux soignés que nous ?

 

budget-USA

 

Si 20 % des hôpitaux américains sont publics (62 % sont de droit privé à but non lucratif et 18 % sont des entreprises à but lucratif), les hôpitaux américains dans leur ensemble sont financés par 62 % de fonds publics. Les fonds publics servant alors à payer des employés d’hôpitaux de droit privé, non fonctionnaires. Certes, il y a moins de fonctionnaires, mais pas forcément de fonds publics.

Nous pouvons reprendre l’exemple de l’éducation, selon les statistiques de l’OCDE (regard sur l’éducation 2011) : la France dépense 6 % du PIB dans son système, dont 5,9 % de dépenses publiques, contre 7,2 % du PIB consacrés à l’éducation pour les Américains dont 5,62 % de dépenses publiques, sachant que les États‑Unis consacrent 2,7 % de leur PIB à l’enseignement supérieur contre seulement 1,4 % en France. Or, aux États-Unis, l’enseignement supérieur est financé en majorité par de l’argent privé, notamment par les étudiants eux-mêmes. La dernière étude PISA*, programme pour le suivi des acquis des jeunes de 15 ans mené par l’OCDE**, montre que les USA ne sont pas les mieux placés, car si la France pointe à une triste 25e place, que dire des USA qui prennent la 36e place ?

Les deux domaines que sont la santé et l’éducation sont représentatifs : il ne faut pas tirer des conclusions hâtives dès lors que l’on confronte le nombre de fonctionnaires à l’efficacité de la dépense publique, les chiffres américains sur l’éducation et la santé montrent bien que moins de service public, moins de fonctionnaires, n’aboutit pas toujours à moins de dépenses publiques, et surtout n’aboutit pas toujours à plus d’efficacité car le coût des prélèvements privés se substitue alors à un coût des prélèvements publics : on estime souvent dans les comparaisons internationales, qu’un prélèvement obligatoire réduit le pouvoir d’achat disponible, alors qu’une dépense privée est une utilisation de celui-ci, mais ce raisonnement tient difficilement pour la santé et l’éducation.

* PISA : Program for International Student Assessment.
** OCDE : Organisation for Economic Cooperation and Development (OECD).

Education-moyenne-OCDE-classement-des-pays

Le problème de la dépense publique française n’est peut-être pas le nombre de fonctionnaires

Il faut peut-être aller chercher le gaspillage d’argent public français, non dans l’administration et son fonctionnement, qu’il est sans doute possible et nécessaire d’améliorer, mais dans les transferts financiers entre français ou les autres dépenses sociales telles que santé, retraites, prestations chômage, RSA, politiques familiales, politiques d’aides au logement, aides à la construction, subventions etc. En matière de dépenses sociales, la France est la grande championne : un tiers de notre PIB part en dépenses sociales selon l’OCDE. Mais il est plus facile politiquement d’annoncer le départ d’un fonctionnaire sur deux à la retraite que d’annoncer des coupes dans les prestations chômages ou les aides familiales ! Cela ne veut pas dire que le millefeuille administratif français n’est pas à revoir, que les collectivités locales s’engagent dans de délirants projets d’infrastructures pour séduire l’électorat local par exemple.